Bogdan
Korczowski Gravitation - Laniakea / Peintures
Horizon.
Céleste. Immense. En un mot, en hawaïen : Laniakea.
par Par Marie-Anna Le Ménahèze
Qu'est-ce qu'un superamas ?
Nous apprenons ce matin (le 14/03/2018) le décès du grand Stephen Hawking,
physicien théoricien et cosmologiste britannique de premier ordre :
un homme qui aura tant et tant travaillé, toute sa vie durant, autour
de la réponse, précisément, à cette question-là. Un superamas n'est
autre que la plus grande structure connue de l'univers. L'infiniment
grand. Le méta-gigantesque.
Récemment découvert suite à la mise en commun de savoirs et méthodes
développés par les cerveaux les plus puissants de l'humanité - via un
programme de collaboration scientifique internationale d'un genre nouveau,
car regroupant la crème de la crème de l'astrophysique mondiale - Laniakea
devient alors l'amoncèlement de galaxies le plus extraordinaire jamais
touché du doigt (ou de la lunette astronomique) par l'Homme : cent fois
plus gros que toute entité jamais observée jusqu'ici.
Bogdan Korczowski questionne justement à travers l'abstraction de sa
peinture "l'infiniment" : l'adverbe, plus que le nom (" l'infini ").
Le vraiment très petit. Ce qui est vraiment très petit, pour être plus
exacte. Et puis l'effroyablement grand, aussi. Le savoir, celui de l'être
humain - qui réussit parfois à tendre, tel une incroyable asymptote,
vers un absolu toujours plus puissant - n'est en réalité, on le sait,
que lui fruit d'une toute petite chose organique : la substance grise.
Laniakea telle que campée par Bogdan Korczowski et ses toiles, c'est
le minuscule au service de l'infiniment grand avec, en ligne de mire
et comme effet-loupe, toujours, la question du moi, le sien, celui du
créateur, opérant ici comme le ferait un révélateur en photographie.
Qu'il soit petit ou grand, l'infini reste ce qu'il est : insondable
totalement, irrésistiblement attirant dans la compréhension qu'on voudrait
en avoir, demeurant envers et contre tous (et toute démarche d'étude)
vertigineux, maternel, répétitif. Charnu et nébuleux. Amniotique. Rond.
Les tableaux de Bogdan Korczowski font, au fil du temps et au gré du
parcours qui est le sien, l'effet d'une mue. Depuis les séries consacrées
par l'artiste à cette question qui fonde l'énigme du végétal (encrée
dans son travail durant de nombreuses années), jusqu'à la famille de
tableaux que sont Laniakea - telle cette constellation de visions abstraites
de l'infini - le moi profond de l'artiste est toujours là : ultra-présent
et interrogeant frontalement la matière organique. Celui ou celle qui
regarde, observe, devient alors (à la place de l'artiste lui-même) spirituellement
tout puissant.e car - même si c'est illusoire - omniscient.e. Si l'art
avait une fonction, ce serait quelque chose de l'ordre du polymathique
et de l'omniprésence. Sans doute. Il est donc aisé de se sentir ici,
face à cette série de tableaux-là, au cœur-même de l'acte de création,
de l'action-même qui constitua le commencement, mais aussi à l'orée
d'une nécessaire empathie.
À tant vouloir interpeller le charnel dans son travail - en passant
pour cela à travers le tangible, celui de l'artiste en tant qu'incontestable
sujet humain, fait de savoir, d'existence mais aussi de matière qui
meurt - Bogdan Korczowski utilise comme élément-clé de sa création le
substrat de son moi. Ces oeuvres dites laniakeaesques sont constituées
de tant de matière, de substances (tout à la fois magnifiques, banales
et solides), qu'elles invitent aisément l'Autre à venir les embrasser,
plus que les observer. Contempler : s'approprier à l'infini. Et effleurer.
Ces représentations cosmogonique de l'hyper-espace donnent envie de
toucher, d'entrer, de devenir la matière infinie représentée : sphères,
matrices arrondies abstraites, représentations calibrées d'un éternel
tout sauf fantoche (contrairement à d'autres) qu'est celui du recommencement,
du cycle de l'existence.
Laniakea... Redevenir, soi : (l') infiniment petit. Reprendre à zéro.
Et tout redevient, alors, possible. Laniakea. De nouveau et comme en
une intarissable source : l'Autre et le Soi prennent alors conscience,
deviennent, sont la promesse d'une saga cosmique à laquelle (Dieu merci),
nous appartenons tous.
Marie-Anna
Le Ménahèze
Bogdan
KORCZOWSKI ou Fuir le temps
Par Genica Baczynski
Le
temps amblyope Bogdan Korczowski peint et il peint pour ainsi dire
à l'aveugle. Il contrarie le regard et en premier lieu le sien, au point
de restituer à l'inconscient, sa rétine. Il n'est pas question ici de
ne rien voir, ni de l'absolu du noir, il s'agit du silence de la nuit,
d'une nuit sans langage qui parle, sans se figurer, d'une nuit muette
et pourtant constellée. Il s'agit d'une répétition et de son mouvement.
Bogdan Korczowski récuse la représentation et son miroir déformant,
il divulgue un symbolique sans jamais le traduire, il avance à regard
masqué comme un Œdipe dont la vérité ne s'avouera qu'après lui.
Il frappe ainsi la toile du sceau désenchanté des symboles oubliés puisqu'inconnus
de tous. C'est un peintre qui se déjoue des systèmes comme de l'histoire.
Il obscurcit la mémoire pour lui rendre une langue. Il peint comme s'il
était le premier homme et ce geste qui se veut toujours originel brise
une mécanique de l'illusion perpétuelle. Oui Cette eau Qui sous la
main Se teinte Et sème Médusée Le signe Sur la toile Afin de déjouer
la nuit Venue d'un confins Il s'agit d'une manière ou l'autre De distribuer
la nuit Les nuances constellées de la nuit La tache aveugle Posée sur
la toile Se convertit en figures En bruit en un Attrait de la géométrie
des rêves.
La
terre infernale Mais chez lui, le rêve se répète. Et la répétition
se transfigure en infini. Sa peinture porte en nous une marque plus
qu'un paysage, puisque pour ainsi dire, l'horizon lui est indifférent,
Bogdan K est un peintre de la terre mais d'une terre enclavée à laquelle
on aurait soustrait sa promesse. En ce sens, le récit familial et on
entend par là, d'où l'on peint ? ne se dissocie pas de ce pays
qui est le sien, la Pologne. Et ici, si son nom, Korczowski, est mangé
comme englouti, il s'agit moins d'un effet de style, où l'on imprimerait
à ce peintre du temps infernal un effet Kafkaïen, que d'une marque celle
d'une blessure, celle d'un temps qu'il faut distraire faute de l'abattre.
La Pologne serait sous ces coups le pays des flammes noires, des terres
carbonisées d'où s'échappe parfois le souvenir d'un siècle qui a supprimé
le bonheur à jamais. De ce pays, sans autre horizon que les autres,
Bogdan Korczowski dispense une peinture à l'énergie cadrée - et pour
ce qui est des œuvres les plus récentes une vivacité circulaire
- elle imprègne une ardeur que seules les couleurs corrompent, chez
lui, la lumière ne provient jamais du jour, mais de l'ombre. La toile
répond par un débordement, il lui insuffle une idée d'elle même plus
grande encore.
Bien sûr, il nous renvoie à une histoire de l'art, et devant ses toiles,
on se raccroche à du déjà-vu par peur de se perdre dans ce qu'il nous
incite à abandonner, notre connaissance. Alors, l'espace d'un instant,
devant les signes immémoriaux, les pyramides difformes, les croix, les
hiéroglyphes accumulés et dans le même temps barrés, on entend le bruit
sourd des tableaux de Carlos Saura et parfois même on superposerait
Chagall à ses ciels bibliques. Plus encore, on le relie à Antonio Tapiès,
il fait ainsi écho aux mots du peintre espagnol qui qualifiait son œuvre
de champs de batailles où les blessures se multiplient à l'infini"
Le
geste infini Bogdan Korczowski distribue la couleur non sans arbitraire
de façon à déstabiliser les interprétations et imprégner les climats
d'une incertitude temporelle. Dans ce dernier cas, il n'est pas rare
qu'il recoure à des déplacements, baroques où les perspectives sont
faussées voire abolies. On finit par penser qu'elle réside ailleurs
comme dans la série Plein Soleil où les soleil jaillissent d'un monde
que l'on présente plus qu'on ne le re-présente, il fixe son geste et
par un effet de loupe grossit les traits, il tente de désigner notre
malvoyance et de nous faire entrer dans un regard continu où tout se
lie et se délie, où enfin la pupille s'aveugle. Avec les cercles répétés,
il tatoue la toile de cet Laniakea, énigmatique, ce mot émergé,
peut-être, des lacs ou de mers in-pratiquées.
Bogdan Korczowski n'est ni pareil, ni analogue. Il se situe ailleurs
: il se fie à une méthode sans doute inspirée, composée d'intuitions
et de calculs, de préméditation ; il a inventé un dispositif et ce dispositif
se nourrit d'un quotidien, d'images puisées dans une répétition, ce
qui défère à sa peinture une efficacité et un impact mémorables. Il
fabrique des images dont on ne se déprend pas ; elles résonnent durablement
et jettent en nous un trouble. Ses images, nous verrons peut-être comment,
acquièrent une force persévérante, elles ne pénètrent pas l'inconscient,
elles y sommeillaient déjà. Il s'adonne alors à une virtuosité qu'on
pourrait qualifier aisément d'élémentaire puisqu'elle vise à atteindre
un essentiel et c'est là sa principale qualité. Ses visions font système.
On se rappelle qu'Homère postulait que les dieux n'avaient infligé le
malheur aux hommes que pour inciter au chant qui les consolerait. Bogdan
Korczowski ne cherche pourtant jamais à calmer les angoisses, sa peinture
préfigure, plus qu'elle ne propose, une autre dimension où si il n'est
pas aisé d'être à l'aise, on peut y lire une grammaire de la promesse
et dans ce cas, elle nait des cendres. Chez lui, l'obsession fixe et
malmène le spectateur. On entre dans une nuit qui remue…
En somme, le déplacement recouvre le réel dont il est en quelque sorte
la métonymie. La peinture de Bogdan Korczowski forme la partie d'un
tout, la parcelle d'un monde dont il nous abandonne des éléments, relève
des situations afin d'en exhumer la contrariété dont la peinture serait
le remède. On devine que Bogdan Korczowski ne veut pas en rester là,
qu'il songe à autre chose et cette autre chose nous est exposée
grâce à une autre opération, plus évanescente peut-être qui, elle, s'apparente
à la condensation, à une manière de choisir son vocabulaire, de l'articuler,
de le restreindre au mieux afin de préciser son but. Cette opération
s'accomplit dans le geste pictural. Les images qui nous sont alors prodiguées
sont à proprement parler impressionnantes.
La peinture accomplit le regard et sa divergence. Elle ramasse et concentre
des effets épars. Elle établit un sens qui aurait tendance à se disséminer,
à ne rester qu'une vague impression. En certaines occasions,
on apparente la condensation à la métaphore. Pourquoi pas ? Toujours
est-il que Bogdan Korczowski fonctionne au rêve auquel il emprunte ses
techniques et que la peinture est sa vérité. Par facilité, nous disons
qu'il traduit un monde, mais avec ses images, il produit du récit, c'est-à-dire
du temps et la durée. Il peint un repli du temps où les symboles aux
contours accidentés, amochés par l'oubli, affichent leur présence pour
ne pas dire leur permanence. Il conjure un silence, une pénurie de signes
à l'ère où les signes pullulent et s'équivalent en vain et comble un
vide. Si nous forcions le pathétique, nous écririons qu'il conjure une
mort quand il invente une beauté, une beauté qu'il traite à la manière
d'Arthur Rimbaud qui ne l'avait assise sur ses genoux que pour la gifler
et pour Bogdan Korczowski, il s'agit bien de cela, de malmener ce qu'il
charme. C'est pourquoi sans doute et pour forcer le trait, il stigmatise
de plaies noires certaines de ses toiles.
Sa peinture qui répond du temps et s'en défend pourtant, réclame des
mots et ses visions-images expriment des rapports. C'est un homme
de l'intelligence en mouvement et des mouvements de l'intelligence.
Il met en relation un état donné avec leurs causes et leurs conséquences,
même si les réponses devancent les questions.
Genica Baczynski
LANIAKEA
OU LE LANGUAGE DES ÉTOILES
BENIAMIN
M. BUKOWSKI
traduction Agnieszka Zgieb
Dans
la langue hawaïenne, Laniakea désigne l'horizon céleste incommensurable.
L'Incommensurable n'est pas l'infini.
L'immensité des galaxies au sein du superama dépasse l'imagination humaine,
et l'immensité est à l'homme une mesure parfois impossible.
La théorie permet d'estimer le nombre d'étoiles rassemblées autour de
ce superama. Laniakea a une structure, un nombre d'éléments définis
et des frontières spatiales. Pourtant elle échappe à notre connaissance.
Il est impossible, quelques soient nos efforts, de la saisir entièrement.
Et plus encore si l'on réalise que nous sommes à l'intérieur, que nous
habitons une toute minuscule partie de Laniakea.
Bien sûr, et par la force des choses, notre perspective est déterminée.
Nous sommes des habitants de la Terre que l'on observe le ciel à l'œil
nu, à l'aide d'un télescope, ou grâce aux images captées par les sondes
spatiales et les télescopes envoyés dans l'espace - on enregistre Laniakea
morceau par morceau. Ses fragments, aussi infimes qu'ils soient, nous
donnent le vertige. Et il n'est pas tout à fait exact que notre regard
d'observateur ne change pas. Notre planète voyage autour du Soleil et
tourne autour de son propre axe. La configuration ne cesse de se transformer.
Et nous, cette part infime du cosmos, demeurons ses observateurs attentifs.
Notre premier réflexe serait d'admettre qu'il s'agit là d'un cas rare.
Mais c'est une chose qui n'a rien de singulier et qui est partagée par
toute l'espèce humaine ; une chose banale à laquelle nous participons
: observer le spectacle de l'intérieur. Voici les étoiles, elles dansent
autour de nous.
Ce spectacle, Bogdan Korczowski semble l'observer dans une série de
toiles. Bien que loin du piège de la littéralité ou de la tentative
d'une interprétation fidèle et précise, il se tient en observateur attentif.
Si l'homme est capable d'une manière ou d'une autre de maîtriser l'infini
de la galaxie, c'est grâce à ce défi titanesque et incessant qu'est
l'art de la cartographie. L'imaginaire de l'enfant est tout de suite
habité par l'atlas du ciel. Et il est déjà plus proche d'une œuvre
abstraite que d'un diagramme scientifique. Comment interpréter le voyage
à travers les étoiles autrement qu'au moyen d'un voyage fantasmé ? Entre
les points lumineux qui disséminent l'obscurité de la nuit, notre regard
se balade comme sur une toile. C'est ce voyage que l'artiste nous propose
dans la série Laniakea.
En ce qui concerne la narration picturale de Bogdan Korczowski il est
inutile de chercher des prédécesseurs directs. Il sera plus facile de
tenter, d'une façon arbitraire bien sûr, de définir une possible affiliation
intemporelle à laquelle le récit appartient : des créateurs qui partagent
une recherche commune, une sensibilité analogue, une passion conjointe
pour sa thématique. Depuis toujours, le cosmos fascine les artistes
; il serait assez difficile de désigner ses premières retranscriptions
et de définir avec certitude quand la première représentation graphique
de l'espace du ciel est apparue. Sans aucun doute, nos ancêtres, peut-être
même depuis la nuit des temps, dirigeaient leur regard loin, au-delà
de l'horizon. Des astrolabes sphériques - avec leur perfection mathématique
inspirées des théories de Pythagore - en passant par les fonds dorés
des mosaïques byzantines de Ravenne - symbole de la réalité cosmique
jusqu'à la représentation zodiacale sur les miniatures du Moyen-Âge
- l'univers a obsédé, bien avant la révolution copernicienne et les
débuts de la physique moderne. On le sait aussi, l'un de ses pères-fondateurs,
Galileo Gallieni, se passionna pour les arts plastiques et laissa un
traité à ce sujet. Au temps de la Renaissance l'astronomie se mariait
le plus souvent avec la peinture ; et les auteurs de toiles réputées
étaient aussi les créateurs de télescopes. Et à l'évidence le sujet
principal de leurs recherches étaient les lois de l'optique et les règles
de la perspective qui en résultent.
Le cosmos de Korczowski ne se borne pas à une dimension mathématique.
Il n'est pas une reproduction stricte, il n'ambitionne ni ne prétend
au geste de l'astronome ; et la carte du ciel étoilé ici est autre.
Chaque imitation de la réalité repose sur une convention. Le mimétisme
parfait n'est jamais possible. Korczowski en est conscient. Pour paraphraser
la fameuse métaphore de Baudrillard, la carte aurait dû ne faire qu'un
avec le territoire reproduit, le couvrant entièrement et le remplaçant
tout en en devenant une sorte de simulacre. Impossible d'imaginer une
carte qui - par ses dimensions physiques - serait de la même taille
que le ciel. Si l'art de Korczowski est mimétique, il y parvient mais
d'une autre façon. Il ne se dérobe pas à la reproduction de l'infini
et à l'imitation de l'espace - l'espace que l'on retrouvera en regardant
le ciel bien qu'on ne le retrouvera pas sur le ciel. C'est une entreprise
aussi ambitieuse, et bien plus authentique : le sujet de l'imitation
est l'expérience intérieure ; l'inscription artistique du chemin émotionnel
et intellectuel qui traverse l'artiste. On peut ainsi considérer ses
toiles comme des fractions d'un espace infini des galaxies qui nous
entourent mais aussi des fractions d'un acte de création. La vie de
l'artiste devient alors un univers suis generis : ce qui, bien qu'enfermé
dans le cadre du temps et de l'espace, s'avère impossible à connaître
in extenso. Alors si l'on regarde l'œuvre on regarde l'infini.
Pour nous, contemplateurs des tableaux de Korczowski, une seule chose
existe pour appréhender les fameux fragments offerts - d'une façon subjective
- l'idée d'un ensemble. À l'instar de Laniakea observée à l'aide des
télescopes terrestres, la constellation artistique des œuvres placées
dans la biographie de l'artiste est saisie par les observateurs dans
le fractionnel. Dans le même temps il s'agit là d'une perspective "
de l'intérieur ". Tout se passe entre les tableaux, à l'intérieur de
la galerie, entre les pages de l'album les reproduisant.
En ce sens, le cycle Laniaeka constitue un univers fermé. L'acte de
la création et celui de la réception portent en eux une dimension cosmique.
Pourtant ils ne se situent ni dans le sens naïf et ésotérique ni dans
un style pompeux comme certains poètes étaient prêts à le donner à cette
formulation. Il s'agit tout d'abord de la multiplicité des interprétations
et de l'impossibilité de trouver d'une manière définitive la perspective
de cette constellation dont nous, spectateurs, devrons choisir une hypothèse.
Mais à chaque fois, en s'efforçant de trouver la juste clé de la perception,
nous sommes condamnés à l'échec. Pour autant, notre regard n'est pas
erroné. La perceptive n'est jamais unique et définitive. Elle ne sera
donc jamais totale. Cette multiplicité des lectures témoigne de la force
de l'impact de Laniakea. Voici l'un des deux grands paradoxes qui accompagnent
cette peinture. Bien qu'elle soit abstraite, elle porte la marque du
mimétisme. Mais c'est un mimétisme intérieur, différent de celui qu'interprètent
habituellement les critiques et historiens d'art. Le sujet d'une imitation
continue et instaure l'expression même de l'artiste, sa sensibilité.
Le processus de création est extériorisé et, comme les étoiles, il est
considéré comme le sujet élu.
Impossible de douter ne serait-ce qu'un instant que les tableaux de
Korczowski sont l'œuvre d'un acte spontané inscrit dans un processus
- proche du courant action painting -, un grand récit sur le mouvement
du pinceau dirigé par sa main, et en même temps un traité consacré au
mouvement des étoiles. L'étude inanimée d'une chorégraphie complexe,
qui ne perd rien de sa spontanéité. Devant Laniakea, les frontières
des formes géométriques, bien que toujours présentes, s'estompent sur
la surface, vaincues par le ressenti synthétique d'un ensemble. Les
tableaux de Korczowski possèdent cette qualité propre à une œuvre
d'art lorsqu'elle reflète la personnalité et la plénitude de l'expérience
de l'artiste. Cette qualité est un témoignage vivant et authentique,
il dépasse les cadres étroits d'une tendance et prouve qu'une fois libérée
du piège des courants et des écoles, la peinture se révèle toujours
active et authentique, quand bien même son déclin fut annoncé par certains
théoriciens. Une des meilleures preuves de sa vivacité se situe dans
le fait que même les mots, dans une tentative cohérente de reconstruire
le paradoxe de Laniakea, restent insatisfaisants et, par la force des
choses, superficiels : ils buttent à restituer la plénitude de la contemplation
du cycle. Pourtant, lorsque la littérature faillit, ce n'est pas l'aveu
d'un échec, mais un hommage. Dans ces moments-là, lorsque les mots manquent,
devant la contemplation d'une œuvre, on est saisi d'un sentiment
nouveau, on est face à quelque chose qui dévoile son propre langage,
fascinant et mystérieux. Un texte qui repose sur une sémantique inconnue
de nous, qui dépasse avec sa polysémie tout ce qui pourrait être crypté
à l'aide des mots. Ce n'est plus un atlas astronomique, rationnel, mais
une énigme des astrologues impossible à déchiffrer. C'est le langage
des étoiles.
BENIAMIN
M. BUKOWSKI
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