"PHOTOTHEQUES"
de Bogdan Korczowski
installation-polaroid et technique mixte sur toile
"
Le Nu mis en pièces" par Gaëla Le Grand
Les pièces vont s'agencer, pour reconstituer, peut-être, le corps unique,
primordial, d'avant la décomposition, d'avant la dissection, d'avant la
dissociation. Ou résister à l'agencement. Optons pour la première attitude.
L'œuvre n'est possible, le sentiment esthétique perceptible (à moins qu'il
y soit question de métaphysique...) que par et dans la série : série visuelle
de morceaux de corps, pris dans la masse indistincte et informelle de
la totalité des corps. Mais nulle question ici de " planches anatomiques
", le corps, en sa partie choisie, est apprêté, décoré, pour un rituel
qui consacre le moment postorgasmique, d'après la consommation. Magie
de l'œil, qui se plaît à réinventer ces corps faits-pour-plaire, à la
lueur d'un désir brutal. Que se passe-t-il au terme de cette alchimie
? On chercherait en vain à cartographier la vie fantasmatique du peintre,
car le foisonnement de son imaginaire déjà nous déroute. Le Nu est dépassé,
subsumé ; il ne s'agit plus pour Bogdan Korczowski de dévoiler une ligne
de fuite du regard qui s'exercerait à découvrir un corps, à dénuder, à
faire apparaître, mais il est plutôt question d'une collision, de fragments
de vie, de discours, de réels. Nous sommes dans l'anticatastrophe, ou
la catastrophe à rebours, s'il est vrai que ce mouvement est celui qui
consiste à donner à voir. Car ce qui doit être vu a déjà été vu : présence
de figures connues, de personnages, d'héritages, de traces, d'inspirations,
la peinture, la couche de peinture, que le peintre court-circuite pour
lui adjoindre une autre forme, morceau de corps. Là où dans d'autres séries,
l'érotisme, la chute sont de miroirs, clin d'œil au grand inspirateur,
au mage décadent polonais, Witkiewicz. Erotisme, imaginaire, folie. Ou
la monstration du désir dit autre chose que le désir, et nimbe d'un voile
obscur le geste de l'artiste. Après avoir joui de l'objet, on le détruit
: c'est l'équation de cette série de tableaux. Collage de formes également,
entre peinture et photographie, pour créer un nouveau support, l'instantané
du cliché photographique faisant irruption dans l'éternité de la peinture
conçue comme peau de l'œuvre. Blasphème, provocation, ce qui est l'équivoque
de l'art, son indétermination, son scandale, entre mémoire intime de l'artiste
et mémoire universelle de la différenciation. Là où les corps sont mis
en pièces, les regards le sont également : la série vue dans sa totalité
(l'installation fonctionnant comme une somme de séries d'inspirations
diverses, de corps divers), à partir d'une certaine distance, occulte
la signification même de chaque pièce : la pièce de corps rapportée, corps
étrange, corps en excès, de la réalité, corps en défaut, de la peinture.
Le peintre crie alors : pas assez de corps. A celui qui s'approche de
chaque tableau, laissant de côté l'univers sériel d'une peinture incarnée,
la disposition murale, qui accommode son regard à l'unité de la pièce,
c'est le morceau de nudité qui apparaît, envahissant tout l'espace pictural.
Destruction du regard de spectateur. Distorsion du regard, écartelé lui
aussi , comme le corps de la femme. N'est-ce pas pourtant la distance
qui implique la subjectivité de l'être-vu ? On peut hésiter. De loin,
je reconnais l'artiste comme sujet de son œuvre ; de près, j'ai du mal
à reconnaître quoi que ce soit : les codes sont brouillés, les identités
démultipliées, tronquées, usurpées : est-ce le corps morcelé de la femme
qui se joue de notre furie-à-voir , de l'embrasement de notre œil, ou
celui de l'orchestrateur de cette danse étrange ? Les pièces alors peuvent
s'animer sous un regard scrutateur et inquisiteur, pour célébrer le chant
du peintre, sur l'autel de la mémoire retrouvée à l'infini. C'est belle
et bien une danse, un chant haut et lointain : la peau est lisse, le corps
tendu à l'excès, pas de plis, pas de contours qui ne soient laissés au
hasard du regard . Et pourtant, c'est toujours la même oscillation entre
occultation et monstration, dissimulation et apparition. Dislocation du
Nu : il n'est plus question du corps de la femme, support de la contemplation
et du ravissement, il est question de la femme en tant qu'elle est mise
en pièces, disséquée, dans la pluralité de ses apparaître successifs,
de ses habits, de ses appâts, de ses moments, de ses humeurs même, de
ses apprêts. Erotisme à rebours : la femme reconstituée, à la faveur de
ces clichés de courbes dispersées, est le corps féminin tout entier, ou
la vacuité de chaque corps, son absence, son manque-à-être. Percée dans
l'existence du corps où le faire-corps se situe entre le rêve, la jouissance
et la mort. Pas de visages, pas d'yeux, l'idôle se substitue à l'icône.
Plasticité faite de peau tendue ; sans yeux, la peau est montrée comme
métaphore du corps, la peau comme corps sans-les-yeux. Pas non plus de
vis-à-vis, pas d'échange, ce qui est mis en pièces n'est plus dans le
discours, la parolsous un regard scrutateur et inquisiteur, pour célébrer
le chant du peintre, sur l'autel de la mémoire retrouvée à l'infini. C'est
belle et bien une danse, un chant haut et lointain : la peau est lisse,
le corps tendu à l'excès, pas de plis, pas de contours qui ne soient laissés
au hasard du regard . Et pourtant, c'est toujours la même oscillation
entre occultation et monstration, dissimulation et apparition. Dislocation
du Nu : il n'est plus question du corps de la femme, support de la contemplation
et du ravissement, il est question de la femme en tant qu'elle est mise
en pièces, disséquée, dans la pluralité de ses apparaître successifs,
de ses habits, de ses appâts, de ses moments, de ses humeurs même, de
ses apprêts. Erotisme à rebours : la femme reconstituée, à la faveur de
ces clichés de courbes dispersées, est le corps féminin tout entier, ou
la vacuité de chaque corps, son absence, son manque-à-être. Percée dans
l'existence du corps où le faire-corps se situe entre le rêve, la jouissance
et la mort. Pas de visages, pas d'yeux, l'idôle se substitue à l'icône.
Plasticité faite de peau tendue ; sans yeux, la peau est montrée comme
métaphore du corps, la peau comme corps sans-les-yeux. Pas non plus de
vis-à-vis, pas d'échange, ce qui est mis en pièces n'est plus dans le
discours, la parole échangée, la promesse, mais dans la pure présence,
sans distance. Destruction de la vision, carcan du regard, dans le tourbillon
de la série, et la perte du point de vue. Subversion de la peinture ici
pour un moment. Monstration désincarnée, car désubjectivée à l'extrême,
sous le coup d'un sexe absent - ou le sexe conçu comme l'extrémité de
la peau, la surpeau. Bogdan Korczowski dit le caractère irreprésentable
de la distance, du regard et, dès lors, l'impossibilité de peindre un
visage, d'accoucher d'un portrait. Ce qui se dérobe peut néanmoins être
capté sous la forme du dessaisissement, du rapt, être investi d'un surplus
de réalité, de nudité. Nous sommes dans l'épiphanie du corps, corps désiré,
puis déconstruit, sous l'angle de l'esthète. Dérision provisoire, celle
du fond, puis celle du modèle, et hommage en même temps. C'est une superposition
de couches, mortelle / immortelle, qui inaugure une inversion des formes,
ou plutôt une élévation - sacrilège - du corps impropre ( de l'idôle)
au statut de l'icône : immortalité du Nu-mis-en pièces, éternité du corps
mis-en-scènes. Nous sommes à la limite, dans l'informulable. Ce qui demeure,
c'est le tiraillement de la forme, l'éblouissement : c'est l'image, sur
la rétine, acerbe, de ce qui meurt-au-regard, ce qui dépasse l'être-là
du corps, l'évidence du désir. Nouveau corps, devenu-peau. Nouvelle peinture,
devenue-chair.
Gaëla
Le Grand
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