Maria Stangret & Bogdan Korczowski "Tadeusz Kantor et après..." Collegiale
St-Pierre-Le-Puellier Maria Stangret-Kantor et Bogdan Korczowski à Cricoteka à Cracovie
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Maria Strangret : avec Tadeusz Kantor Celle qui fut l'une
des plus proches collaboratrices de Tadeusz Kantor au Théâtre
Cricot 2 par son activité de comédienne, celle qui participa
activement, dans les années 60, aux emballages vivants, pour se
faire le modèle de ce rituel libéré de toute symbolisation,
de cet acte pur, ostentatoire, possède, en plus, une oeuvre picturale
personnelle, alimentée par une expérience artistique incomparable
et menée en accointance avec le travail pictural et scénographique
de Tadeusz Kantor. Ni Muse, ni ombre, Maria Stangret nous offre ici quelques-uns
de ses bijoux, qu'elle a travaillés à Cracovie ou à
Hucisko, dans cette maison d'artiste élevée d'après
les plans de Tadeusz Kantor, lieu d'exposition de l'un des "miracles"
artistiques de notre siècle, La Chaise de Kantor ; autour de Maria
Stangret, l'art est partout, nimbé d'une sensualité ombrageuse,
insaisissable comme un grand vent, subtil et doux, que la couleur - pigments
écrasés sur la toile - de sa tonalité automnale,
agrémente d'infimes sensations, de saveurs délicates et
"aurorales", disséminées ça et là.
Un oiseau sur une branche friable, prête à se fendre sous
le poids du souvenir, mais avec cette exacte mesure des forces qui habitent
l'espace, l'équilibre à chaque fois retrouvé, la
création gratifiée et reconnaissante. Des fragments de paysages,
ravivés à la faveur d'un geste pictural, des morceaux de
vie, emprisonnés à l'intérieur de la toile, comme
dans Le Tableau, Le Jeu d'échecs, Les feuilles d'un cahier ou Les
flêchettes : La classe morte n'est pas loin, et avec elle la ronde
enfantine et le tournoiement de formes indissolubles et mouvantes. La
présentation des oeuvres de Maria Stangret, placée sous
le signe de la mélancolie, donne à voir également
des créations revisitées, à l'ombre de l'expérience
passée, comme l' Hommage à Anne Frank, où, comme
le rappelle Wieslaw Borowski, "tout est encore plus irréel
: les roues du vélo tordues dans tous les sens, à peine
distinctes, comme des rubans d'azur effilochés, flottants dans
l'air ; une silhouette à vélo difforme, frôlée
par des taches de couleurs, perdue sur le fond, elle n'est plus qu'un
souvenir lointain, hallucinatoire de sa légende tragique".
Quand le souvenir ouvre une blessure sur le monde, magnifiée et
bouleversante de synchronie avec notre propre présent désincarné
et sans mémoire, alors s'engouffre la pesanteur de l'amnésie
créatrice. Ou alors, ce sont des oeuvres simplement surimposées
au présent de la contemplation, comme Les Fenêtres, dont
on ne sait si elles ouvrent à un autre espace, ou si elles ne font
que perpétrer le même enfermement plein de langueur. Quant
à cette branche, coupée en son élan, qu'elle présente,
avec en guise de feuillage, pointé vers l'éternité,
un message écrit, en hommage à Tadeusz Kantor, gageons qu'elle
n'en finit pas de s'étendre, pour gagner notre espace mental et
nous mener aussi haut que l'ambition de Kantor nous l'a fait pressentir.
Ramifications, mouvements, flots jamais vaincus, balancements éthérés
sont là pour nous rappeler que la création artistique n'est
pas tributaire de l'événement, que l'Art n'est pas contingent,
même s'il est effectué selon le plus grand caprice - arme
de la liberté souveraine et étendue à ce qui ne s'atteint
pas - mais nécessaire, vital, parce que indépendant et autonome,
comme la matière qu'il convoque et travaille. Bogdan Korczowski
: après Tadeusz Kantor
Bogdan Korczowski
est avec Tadeusz Kantor ; il vit avec l'effusion du spectacle, qu'il retranscrit
en touches de feu, il vit avec le mouvement ininterrompu, qu'il emprisonne
en des formes circulaires, le plus souvent fermées, il vit avec
la violence contenue et matérialisée, qu'il traduit en traces
d'éclatements, en signes défunts (l'Etoile/La Mort), il
vit avec la réalité déchue, qu'il capte en supports
quotidiens. Le carton succède à l'espace de la théâtralité,
mais la finalité est la même : libérer la matière,
ou plutôt l'élever au rang de vivant. La peinture vit alors
par elle-même, elle se meut en ses propres formes, se nourrit de
sa polychromie de chair ; enfin elle possède sa propre carnation,
sa propre énergie ; enfin elle accède à la rupture
d'infini : l'oeuvre d'art. Des couleurs, des traces, des creux, des bosses,
des écoulements, des flamboiements, des embrasements, des signes
graphiques enchevêtrés (mots, lettres) du feu des serpents,
des ronds pleins, des lignes en zigzag, des fleurs en suspens, des anges,
qui chutent, et deviennent cendre, des fantômes, des univers en
mouvement, des éclipses, des planètes, des explosions, des
écoulements. Une langue de feu, ou la lave de l'imaginaire en fusion,
ou une éruption sensuelle, qui n'oublie rien, semble retracer les
méandres brumeuses de notre passé ; le peintre se fait l'égal
de l'évocation qu'il magnifie, le double d'une matière en
mouvement qui fige la perte, exorcise le néant ; quelqu'un d'autre
parle, une autre voix se fait entendre au creux même de l'oeuvre
peinte (une chose qu'exprime un trait d'infortune, une déviance
chromatique) - il y a trop de signes, trop de matière - dans ce
rituel qui a quelque chose d'infernal, d'inextinguible ; un feu, un jeu,
que la mort joue, à travers l'artiste, avec la matière :
une peinture-dibbouk, comme le comédien dans le théâtre
de la Mort de Tadeusz Kantor, qui, à travers l'expression corporelle,
transmet la réalité de l'esprit d'un mort, se fait l'instrument
d'une âme errante "comme si un fantôme s'était
emparé de lui" : "Ici, il y a quelque chose du Dibbouk.
Le personnage du Dibbouk m'a beaucoup intéressé. C'est une
Juive, qui intrigue son entourage. Tout le monde la connaît, mais
elle ne reconnaît personne parce qu'un mort est entré en
elle. Un mort - c'est la foi juive", confiera Kantor à la
fin de sa vie. Dans le dédale de la Cartonthèque, la mort
rode, qui possède un visage bien connu
comme si la présence
de Tadeusz Kantor était emprisonnée dans l'espace du tableau.
Possession, exorcisme : territoire familier. Texte
de Gaëla Le Grand ,Catalogue : "Tadeusz Kantor et après.."
Exposition Maria Stangret- Bogdan Korczowski Texte de Jean-Pierre SUEUR Sénateur du Loiret vice-président de la commission des lois du Sénat, ancien ministre.
3 novembre 2000 Collégiale Saint-Pierre-le-Puellier Je suis très heureux de participer ce soir au vernissage de cette exposition consacrée à Maria STANGRET et à Bogdan KORCZOWSKI, dans le cadre de lhommage que la Ville dOrléans a voulu rendre à Tadeuz Kantor, 10 ans après sa mort. Nous navons pas voulu faire, de cette hommage, un objet compassé, stérile, et pour tout dire un peu mort. Nous avons souhaité, au contraire, montrer combien luvre de Kantor reste vivante, combien son travail sur la mémoire, sur sa mémoire et sur notre histoire, pouvait toujours être actuel. Cest ce « retour » permanent quil recherchait dans ses multiples uvres de dramaturge et de plasticien et que nous avons recherché à notre tour. Comment donc ne pas montrer, à loccasion de cet hommage, des oeuvres dartistes qui ont cherché, eux aussi, à retourner sur leur mémoire et sur notre mémoire. Ce projet était dautant plus justifié que certains artistes se sont également inspirés de Kantor, comme médiateur, comme catalyseur, pour élaborer une uvre personnelle. Cest pourquoi, lInstitut dArts Visuels a accueilli, aux mois de septembre et doctobre, des installations de Bruno WAGNER, consacrées à Tadeuz Kantor. Cest pourquoi, au début du mois de novembre, la Collégiale Saint-Pierre-le-Puellier expose des uvres de Maria STANGRET et de Bogdan KORCZOWSKI, deux artistes polonais aussi attachés à Kantor quils le sont à la France. Maria STANGRET, nous la connaissons. Elle est, en effet, venue à Orléans, au mois de septembre dernier, à loccasion de linauguration des deux expositions consacrées à Tadeuz Kantor, dont elle fut la compagne pendant plus de trente cinq ans. Elle accompagna les créations théâtrales de son mari, devint actrice, mais nabandonna pas, pour autant, sa première passion, la peinture. Kantor et elle ne se sont-ils pas rencontrés à lécole des Beaux-Arts de Cracovie, alors quil y enseignait et quelle y suivait des cours ? Ce destin commun explique les parentés qui existent entre leurs uvres. Certaines techniques sont communes, comme lutilisation de la troisième dimension pour prolonger le tableau dans notre réalité ici par un morceau darbre - ou pour donner au tableau un prolongement dans notre monde. On peut aussi voir certains clins dil également à luvre de Kantor, comme le parapluie blanc, alter-égo féminin du parapluie noir de Kantor. Luvre de Maria STANGRET joue donc avec luvre de Kantor, parfois le sourire en coin. Mais son uvre est aussi empreinte dun ton personnel, assez mélancolique, à linstar de la série des fenêtres, qui nous renvoient au monde de lenfance, à un passé qui sefface et que nous cherchons à conserver, sur lequel nous retournons sans cesse. Lenfance, avec ses rêves, ses longues journées passées à chercher, à travers la fenêtres, les vibrations du monde, lenfance parfois brisée, comme celle dAnne Franck, à laquelle Maria STANGRET rend également hommage. Le passé, et au premier rang lhistoire de la Pologne et de lEurope depuis un siècle, sont aussi présents dans luvre de Bogdan KORCZOWSKI. La « cartonthèque » fait résonance avec la « Cricothèque », le musée conçu et réalisé par Kantor, à Cracovie, pour rassembler ses uvres. Ce nest pas un hasard. Bogdan KORCZOWSKI a été influencé très tôt par luvre de Tadeuz Kantor. Chez les deux artistes, on retrouve cette même attention à lhistoire, à une histoire tragique, et notamment à lhistoire juive de la Pologne. Bogdan KORCZOWSKI utilise sa « Cartonthèque », comme un écrivain ou un poète pourraient utiliser certains mots privilégiés, comme un linguiste structuraliste décortiquerait les mots, en composant, au gré des surfaces à couvrir, de la disposition des salles, et selon linspiration, plusieurs centaines de tableaux peints sur des cartons. Grâce à cette technique, il nous donne à voir une uvre toujours unique et toujours changeante, faite de bribes dautres uvres. Il nous montre ainsi comment lart peut sans cesse se renouveler, à partir de lui-même, comment les uvres dart se régénèrent elles-mêmes. Pour Orléans, et la Collégiale Saint-Pierre-le-Puellier, il a ainsi puisé, dans sa « cartonthèque », 230 cartons quil a agencés pour que luvre soit en correspondance avec les tableaux de Maria STANGRET et avec la nef de la Collégiale. Il a adapté son uvre, conçue au départ comme un long couloir, mais qui finit par ici par créer un espace original. La première impression passée, il faut sapprocher ensuite des cartons peints pas Bogdan KORCZOWSKI. Son installation prendra alors une autre dimension. Chaque carton devient un morceau dune uvre plus grande, une trace de cette uvre, comme le dit lui-même Bogdan KORCZOWSKI, un élément des archives de la mémoire. Mémoire du tableau, mais au-delà, également, mémoire de lhistoire. Les éléments semblent surgir du passé, simposer au peintre et ne pas respecter les contours du tableau. Lhistoire, qui a marqué Bogdan KORCZOWSKI, est dabord celle de la Pologne et des juifs de Pologne, exterminés il y a plus de cinquante ans. Létoile de David, comme certains inscriptions, rappelle le judaïsme. Dautres sont plus anciennes encore, et font référence au chamanisme. Il y a en effet, chez lui, la tentative, inspirée du chamanisme, de donner à nouveau vie aux objets et aux traces mortes du passé. Cette recherche était aussi celle de Kantor, quil a connu et qui, comme lui, était originaire de Cracovie. Il était donc particulièrement judicieux dinviter Bogdan KORCZOWSKI à loccasion de cet hommage à Kantor. Je voudrais donc remercier lensemble de la Direction de lAction Culturelle pour lavoir fait, et Nathalie GRENON pour avoir participé activement à cet hommage, d ans le cadre de la programmation de la Collégiale Saint-Pierre-le-Puellier. Je voudrais aussi
remercier Gaëla Le Grand qui a participé à la rédaction
du catalogue de lexposition.
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